Nouvelle d'Estelle et de Marie (4.2)



Moi, j'ai ressenti la peur l'hiver dernier, par une nuit de décembre. J'étais conviée à séjourner quelques jours dans le manoir de l'un de nos plus grands investisseurs. Je pris donc un train mais le voyage fut épouvantable: le train avait été retardé de deux heures et les conditions du voyage n'amélioraient guère la situation, mais je réussis tant bien que mal à m'endormir. Je fus réveillée par la voix rauque du conducteur annonçant la fin du voyage. En sortant du train, je remarquai le silence total qui y régnait et l'obscurité inquiétante  Je marchai d'un pas rapide vers la sortie. Un épais brouillard m'entourait mais je réussis tout de même à distinguer un homme habillé de noir qui semblait m'attendre. Il vint à ma rencontre et me dit:
    ''-Mademoiselle Hamilton, monsieur le Comte m'a demandé de vous accompagner jusqu'au manoir et vous prie de bien vouloir l'excuser car il ne sera pas présent avant demain matin.''
Puis sans un mot de plus, il me fit signe de le suivre et prit d'une main ferme mes bagages.

Après une longue route, nous arrivâmes devant un imposant manoir qui semblait inhabité depuis plusieurs siècles. Nous descendîmes de la voiture et il prit mes bagages. Dès que j'eus franchi le grillage, je m'aperçus qu'une épaisse brume recouvrait le jardin et que tout semblait sombre et lugubre. Je crus entendre un bruit provenant d'un buisson et me retournai vivement mais rien. Nous arrivâmes enfin devant une grande porte en chêne. Une femme qui semblait être la  gouvernante nous ouvrit et nous laissa entrer. Et sans un mot, elle prit mes bagages et m'emmena à travers de longs couloirs, tous semblable les uns aux autres. Nous arrivâmes devant une porte qui s'ouvrait sur une chambre assez vaste mais poussiéreuse. Des toiles d'araignées semblaient se former dans les coins de la chambre. La gouvernante passa devant moi, posa mes affaires, me donna une chandelle et partit. Épuisée par le voyage,je m'endormis rapidement.
   Soudain, je fus réveillée par une mélodie lointaine, si triste que mon coeur fut déchiré de douleur. Attirée par cette musique étrange mais envoûtante, je sortis sans bruit de ma chambre et marchai silencieusement vers la source de la mélodie, elle provenait apparemment du fond du couloir.

   J'arrivai enfin devant une grande salle éclairée seulement par les rayons pâles de la lune. C'est alors que j'aperçus une statue de marbre magnifiquement sculptée. Elle représentait un jeune homme qui avait pour seul habit une toge blanche et qui tenait dans sa main une harpe. La harpe semblait vibrer toute seule et produisait une musique digne d'un grand orchestre. Je n'osai plus bouger. C'est à ce moment là que je remarquai son ombre sans forme définie, ce n'était ni l'ombre d'un homme ou même d'une sculpture mais celui d'un dieu. Je tremblai d'émotion, incapable d'avoir des pensées cohérentes. J'eus l'impression que sa main se rapprochait de mon visage mais soudain la mélodie s'arrêta et la statue se figea comme si tout ceci n'était qu'un rêve.

   Mais pourtant une envie irrésistible de le toucher me prit. J'avançai ma main tremblante et sous mes doigts, j'eus l'impression que son visage se réchauffa.Quand soudain un bruit me tira de ma torpeur. Je me retournai et vis une peinture représentant Lucifer et ses subalternes, cruels et impitoyables. Soudain, je sentis une main se refermer dans la mienne. Mon coeur manqua un battement. Tout cela ne semblait pas réel car devant moi se tenait un jeune homme illuminé par une lumière divine. Ses cheveux blonds vénitiens auréolés son visage d'une grâce infinie. Mais dans ses yeux, une lueur étrange brûlait. Il sortit un écrin qu'il ouvrit, en son centre brillait étrangement un lapis-lazulis d'une couleur inconnue nuancée de bleu, de vert et de doré. D'un geste rapide, il l'attacha à mon cou. Ne sachant pourquoi je pressentis un danger et essayai de retirer le collier mais il semblait se serrer davantage. L'air semblait me manquait, je suffoquai, je crus ma dernière heure arrivée. Il me prit tendrement la main et me sourit d'un air joyeux, qui semblait à cet instant effrayant. Tout autour de moi, les objets s'affaissaient et je m'évanouis.

   Les rayons lumineux du soleil me réveillèrent. Dès l'instant où j'ouvris mes yeux, je bondis sur mes pieds et respirai profondément  Je remarquai tout autour de moi une chambre magnifiquement décorée de meubles dorés et argentés. Et au pied du lit étaient posés mes bagages et il me fit prendre conscience que j'étais dans la chambre dans laquelle on m'avait installé la veille mais complètement différente. Je me précipitai vers la fenêtre et un magnifique jardin s'étalait devant moi. Les fleurs présentes embaumaient l'air frais du matin et les oiseaux chantaient des mélodies plus belles les unes que les autres. Je courus vers le fond du couloir et trouvai la salle dans laquelle j'était la veille mais en y entrant je ne vis pas la statue. Croyant que ce que j'avais vécu n'était qu'un cauchemar, je sortis d'un pas lent quand je vis le tableau de la veille, mais à la place de Lucifer se trouvait le jeune homme souriant cruellement son triomphe. Quand je voulus regagner ma chambre, je remarquai le collier de lapis-lazulis attaché à mon cou et au fond de mon coeur quelque chose s'est brisé.

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