Edition « La Citadelle »
LE MONUMENT AUX MORTS

Il n’est jamais prudent de se promener la nuit…
…Le sol semblait tanguer… Des pas doux, presque aériens… « Bonsoir, James » Une main glacée, celle de la mort, m’agrippa le poignet… « On se reverra, James… »
De Angèle Belhaire et Jeanne Horsin
Je marchais dans la rue, désorienté par le sol qui semblait tanguer. J’avais l’impression de pouvoir m’envoler et rejoindre la cime des arbres qui se découpaient dans la nuit. Mes mains me paraissaient à la fois chaudes et froides, humides et sèches… M’écroulant à terre, je restai agenouillé devant un monument aux morts, regardant sans réelle attention la statue.
Soudain, l’homme de pierre grise s’anima sous mes yeux rougis et descendit de son sinistre trône. Il me fixa de son regard inexpressif, le visage impassible. Il leva tout à coup ses lourds bras vers le ciel étoilé, dans un geste implorant. Une plainte déchirante et vibrante de haine s’éleva mais je ne fis aucun mouvement, hypnotisé par ce personnage inattendu.
Brusquement, son corps se cambra et il parut se liquéfier. L’instant d’après, je contemplai une silhouette sombre, vêtue l‘une longue cape noire. Elle se retourna et j’aperçus le visage pâle et froid d’un élégant homme. Il murmura quelques mots dans une langue qui m’était inconnue et fit un pas dans ma direction.
Je ne pouvais rien faire. Mon esprit me hurlait de me relever et de m’enfuir mais mes jambes restaient immobiles, comme clouées au sol. Je me redressai sur mes bras dans une pose plus apte à la course que j’étais incapable d’effectuer. Les lèvres de l’homme s’étirèrent en un sourire mauvais et c’est à ce moment-là que je vis deux dents plus grandes que la moyenne et d’apparence tranchante.
Il s’avança encore vers moi et j’arrivai enfin à me défaire de ma soudaine paralysie. Je me dressai sur mes pieds et commençai à reculer très lentement, comme si j’étais persuadé qu’il ne me remarquerait pas. Malheureusement, ses yeux noirs s’ancrèrent dans les miens et il eut un rire narquois. Je me mis à courir dans la direction opposée, ne reprenant mon souffle que lorsqu’il m’était indispensable.
Je trébuchais tous les mètres, me redressant comme je pouvais tout en essayant d’agrandir la distance qui me séparait de l’homme immobile. Mais une pierre eut raison de mon sort et je m’étalai contre le trottoir, les joues et les mains éraflées par les petits cailloux.
J’entendis alors des bruits de pas très doux, presque aériens de légèreté, et la lumière orange du lampadaire proche fut masquée par une ombre gracieuse. L’homme se pencha sur moi, les bords de sa cape frôlant imperceptiblement mes cheveux bruns.
- Bonsoir, James, souffla une voix doucereuse tout près de mon oreille.
Je me retournai vivement, la tête vide de pensée et d’émotion. Seul un fort besoin de m’enfuir persistait à guider mes actes. Je repoussai alors le buste de l’homme et me relevai. Mais au moment où j’allai me remettre à courir, une main glacée, probablement celle de la mort, m’agrippa le poignet avec une douceur terrifiante. La même voix s’éleva, ni aiguë ni grave, ni faible ni forte.
- Tu ne croyais tout de même pas m’échapper ainsi, mon ami ?
Jamais je n’avais ressenti un tel sentiment. J’étais à la fois terrifié et résigné, comme si je m’étais attendu à ce moment, comme si je l’avais espéré et redouté pendant des années, la peur enfermée dans min subconscient.
L’homme se colla à moi et respira mon parfum. Puis avec la même douceur, la même délicatesse avec laquelle il m’avait pris le poignet, il ouvrit la bouche et posa ses lèvres contre la peau de mon cou. Et dans une infinie tendresse, il resserra ses dents. La douleur m’envahit, mais je ne criai pas, mes yeux écarquillés profondément enfouis dans l’obscurité des pupilles de l’homme. Il ne cillait pas, le regard enflammé par ce qui ressemblait à du désir, de la gourmandise. Ma dernière pensée cohérente fut qu’il allait me vider de mon sang, et je sombrai dans le noir.
J’ouvris les yeux. Je me trouvais dans un lit blanc et confortable. Une voix monotone me parvint :
« James Marwip, seize ans, trouvé hier soir dans Blackstone Road par un couple qui passait par là. On a trouvé des traces de drogues sur lui, ainsi qu’une carte d’identité. On suppose qu’il a tenté de s’entailler la jugulaire parce qu’on l’a retrouvé inconscient dans une flaque de sang et il avait un petit couteau à côté de lui. Il a une marque dans le cou.
- Très bien. Vous avez le numéro des parents ?
- Non.
- Trouvez-le et dites-leur que leur fils est à l’hôpital.
- Compris »
Je tentai de me redresser mais je me rendis compte que j’étais attaché par les mains.
« Ah, tu es réveillé !
Une infirmière s’approcha de moi et me dit :
- On a été obligé de t’attacher, tu n’arrêtais pas de bouger pendant ton sommeil. C’est quoi le numéro de tes parents ? »
Légèrement perdu, je leur donnais et me tournais un peu pour changer de position ? Mes poignets enserrés me faisaient mal mais je réussi à apercevoir mon oreiller. À ce moment, mon sang se glaça instantanément. Sur le tissu blanc, une inscription rouge et humide me sauta aux yeux :
« On se reverra, James… »
Je poussai alors un hurlement assourdissant.
Angèle Belhaire, Jeanne Horsin
très bonne nouvelle très bien présenter j'adore
RépondreSupprimerje trouve aussi c la meilleure!!!!!
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